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©Mélanie Petit

Une journée au cœur de la Transhumance

Mardi 11 avril. À peine remise de la traditionnelle chasse aux oeufs de Pâques et d’un week-end aux notes chocolatées, me voilà levée à l’aube.

Les chaussures de randonnée aux pieds, le sac à dos vissé à l’épaule, je prends la route vers Rocamadour. Le rendez-vous est donné au pied de la cité médiévale, en plein coeur de la vallée de l’Alzou.

Il est 9h30 quand j’arrive aux abords du parking et, par la fenêtre, j’aperçois un berger mener son troupeau de brebis.

Le ton est donné : la Transhumance va pouvoir commencer !

La Transhumance, une histoire de tradition

Si le mot « transhumance » n’évoque rien chez vous, c’est le moment de vous rattraper. C’est le nom que l’on donne à la migration saisonnière du bétail qui rejoint les pâturages d’été.

En Vallée de la Dordogne, on célèbre la Transhumance chaque année grâce au travail acharné de l’association des éleveurs « Transhulmance en Quercy », l’association des propriétaires de Luzech / Labastide-du-Vert et du Département du Lot.

Pendant 5 jours, il est possible de suivre le troupeau de brebis dans sa reconquête des espaces embroussaillés de la Vallée du Lot.

De Rocamadour à Luzech, ce sont 70km qui attendent les randonneurs, les attelages et le troupeau. Une bien jolie manière de célébrer cette tradition pastorale en grande pompe !

Un rassemblement aux airs de retrouvailles

La voiture est garée et je rejoins la petite foule de randonneurs qui est déjà présente. Les badauds sont rassemblés autour du troupeau, observent les chiens de berger en plein travail, sirotent un café pour finir de se réveiller où se pressent pour repartir avec un bâton de marche ou un t-shirt souvenir. Et au milieu de tout ce petit monde, un accordéoniste déambule, propageant une mélodie joyeuse sur son chemin. Autour de lui, quelques personnes chantonnent le refrain de « Mon amant de Saint-Jean », et c’est le sourire aux lèvres et ma boisson chaude entre les mains que je file m’inscrire sur la liste des randonneurs qui rentreront en navette à l’issue de l’étape.

Car ici, pas de boucle. On est sur une randonnée en itinérance. Chaque journée nous emmène un peu plus proche de la ligne d’arrivée. La navette permet aux randonneurs d’un jour de rentrer chez eux le soir venu ou aux autres de récupérer leur véhicule pour le stationner à chaque village d’arrivée. C’est notamment le cas de ceux qui passeront la nuit dans leur camping car, par exemple.

D’autres ont pris le parti de réserver des gîtes tandis que les plus aventureux ont prévu de bivouaquer pendant ces 5 jours. Le sac est lourd, mais « c’est pour l’expérience ».

Il est 10h et les équipes en charge de l’organisation de l’évènement prennent place sur l’estrade pour dire quelques mots.

C’est surtout la notion de retrouvailles qu’on retiendra de leur discours. La crise sanitaire avait impacté les éditions précédentes, et c’est avec un enthousiasme non dissimulé qu’ils donnent le coup d’envoi de la Transhumance de l’année 2023.

Une matinée éducative

La pérégrination est bien organisée. D’abord, ce sont les attelages qui ouvrent la voie : chevaux de trait et ânes entament leur longue marche, suivie du troupeau de brebis, encadré par leurs bergers et les chiens. Les bénévoles de l’association se faufilent derrière le bétail pour instaurer une distance de sécurité entre les brebis et les randonneurs. Parmi eux se trouvent en cette première journée de Transhumance, l’école primaire de Rocamadour ainsi que des associations qui accompagnent les personnes en situation de handicap. La Transhumance a aussi vocation à éduquer, ont rappelé les organisateurs.

Pour ma part, j’ai rejoint le petit groupe qui ferme la marche. Parce que ce matin, le Parc Naturel Régional des Causses du Quercy propose une balade commentée. On laisse le troupeau s’éloigner sans regret –  on aura l’occasion de rejoindre le groupe l’après-midi – et on s’embarque à la découverte de l’espace Natura 2000 que l’on s’apprête à traverser : les vallées de l’Ouysse et de l’Alzou.

La guide nous rappelle alors que le réseau européen Natura 2000 regroupe tout un ensemble de sites naturels, marins ou terrestres, qui oeuvrent à la survie et à la préservation de la biodiversité.

 

Là, entre les falaises du Causse, nous sommes une petite trentaine de curieux à nous abreuver des explications qui nous sont égrenées au fil de la marche. On parle de la faune, de la flore. On évoque les retards de fauche dans les prairies. Mais ce qui intrigue le plus notre petit groupe, c’est le ruisseau de l’Alzou. Certains s’étonnent qu’il soit complètement sec à cette saison, mais il s’agit là de son fonctionnement normal, nous rassure la guide. Car ce que l’on ignore, c’est qu’il s’agit surtout d’un cours d’eau souterrain. L’Alzou termine sa course dans l’Ouysse, un ruisseau qui a, lui-aussi, une vie souterraine bien mouvementée. Il ne réapparait en surface qu’à quelques endroits sous forme de résurgences.

Parmi elles, les gouffres de Cabouy et de Saint-Sauveur. Ces deux arrêts sont d’ailleurs le point d’orgue de notre parcours. Ici, on est accueillis par le chant des grenouilles et une eau d’un bleu turquoise éclatant.

Notre petit groupe siffle d’admiration. Certains n’y avaient encore jamais mis les pieds. C’est l’occasion de nous rappeler que ces deux lieux sont très fragiles et qu’il ne vaut mieux pas s’y rendre l’été.

Après avoir immortalisé ces petits oasis à la couleur émeraude, nous voilà repartis vers les Granges de Bonnecoste où l’on doit pique-niquer. Il est déjà midi passé et le soleil a fait sa percée. La côte est rude et le pas ralentit. Dans l’effort, les regards se croisent, les encouragements sont de mises et quelques confessions se font entendre. « Je suis du coin. Ce parcours, je le connais par cœur, je l’ai fait plein de fois en marche nordique, dans l’autre sens, aussi. Mais c’est la première fois que je fais la Transhumance. » Quant à savoir si c’est un avantage de bien connaître le chemin, la réponse est claire : non.  « Il ne vaut mieux pas savoir ce qui nous attend. »

J’entends déjà parler de la dernière montée avant d’arriver à Luzech. Je n’aurais pas le plaisir de découvrir les raisons pour lesquelles elle est tant redoutée !

Une pause et ça repart !

Dans un dernier effort, on vient à bout de la côte et on retrouve tout le groupe de randonneurs. Certains sont déjà attablés depuis un moment, d’autres sont assis sur l’herbe et savourent leur pique-nique. Là encore, quelques notes d’accordéon se font entendre entre les éclats de rire. Les plus gourmands goûtent les produits locaux, tandis que je me trouve un coin dans l’herbe pour engloutir les sandwichs qui m’attendent dans mon sac.

Autour de moi, les familles, les amis et les enfants s’épanchent dans un joyeux brouhaha. Les bénévoles se faufilent entre les groupes pour proposer de déguster un peu d’agneau du Quercy.

C’est l’effervescence. Tout le monde a retrouvé le sourire. Les enfants de l’école de Rocamadour jouent avec leur institutrice, les familles vont dans le pré observer le troupeau et les attelages, et d’autres profitent de cette pause pour s’octroyer une sieste bien méritée. Après tout, il reste encore les deux tiers du chemin à parcourir !

Quand à 14h, on rattache les chevaux à leurs attelages, ça sonne la fin de la récréation. L’estomac bien rempli, on s’apprête à reprendre la route. Quelques randonneurs ont tenté leur chance et se retrouvent assis sur la calèche du cheval de trait. L’après-midi s’annonce moins éprouvante pour eux !

Et c’est entre une haie d’honneur que les animaux se remettent en route. Quand c’est à notre tour, nous marcheurs, d’emboiter le pas, on est encouragés par les petits élèves amadouriens dont la folle épopée s’arrête là. Des « Bonne chance » et « Bon courage » sont lancés, quelques coucous partagés et nous voilà repartis pour 2h30 de marche.

Vous avez dit convivialité ?

Si la matinée a été enrichissante, être au contact des randonneurs et du troupeau a quelque chose d’incroyable. Dans les virages, on prend conscience de la marée humaine de marcheurs. On serait environ 400 selon les bénévoles, mais difficile d’obtenir un chiffre exact en ce premier jour.

On progresse à son rythme dans la foule. Certains veulent absolument être au plus près des brebis, d’autres considèrent ça plutôt comme une balade. Chacun y trouve son compte, finalement.

On reconnait des visages croisés le matin-même, on partage quelques mots avec ceux qui marchent à nos côtés. Il y a ceux qui sont du coin, ceux qui viennent d’à côté, des Normands qui viennent tous les ans. Il y a des familles, des couples, des amis. Et il y a des gens qui, comme moi, viennent vivre ce moment seul.

Devant moi, j’entends un aveu « J’ai du mal à parler aux personnes que je ne connais pas. On aura presque fait tout le parcours, ensemble, finalement. ». C’est aussi ça la Transhumance. Venir seul et marcher les 16 kilomètres aux côtés d’un(e) inconnu(e). Le dialogue est facile, on échange quelques mots en passant. Quand quelqu’un perd un foulard, le mot part du bout du peloton et remonte jusqu’à devant. Les générations se télescopent. À ma droite, un monsieur de 80 ans marche depuis le matin, sous les yeux admiratifs des jeunes bénévoles qui sont à son niveau. Ils discutent du sens de la vie, et se quittent en se souhaitant bon courage pour l’avenir.

Au détour de quelques paroles, je perçois alors toute la beauté et l’importance du moment que je suis en train de vivre. J’ai l’impression soudaine que la Transhumance est bien plus qu’une fête champêtre. C’est un véritable moment de partage, de convivialité et de rencontres.

On arrive bien trop vite aux abords de Séniergues. C’est la ligne d’arrivée de cette première journée. Ça y est, on vient de parcourir 16 kilomètres.

Quand, quelques minutes plus tard,  je grimpe dans la navette qui me ramènera à Rocamadour, la foule s’est déjà un peu étiolée et les animaux sont en train de se reposer. On démarre et je laisse derrière moi un petit groupe de personnes, de brebis et d’ânes, qui continueront leur chemin dès le lendemain matin.

Et peut-être que l’année prochaine, je reviendrai faire une étape, deux, ou toutes, pour vivre encore plus intensément la folle aventure de la Transhumance.

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